SESSION11: INTEGRATION, SOLIDARITE D’INTERDEPENDANCE ET SOUVERAINTE EN AFRIQUE DE L’OUEST: Dr Moustapha FALL, Alpha Waly DIALLO
La 57ème session ordinaire de la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement de la CEDEAO, tenue le 07 septembre 2020, à Niamey (Niger), a mis en évidence l’exercice des compétences essentielles et existentielles de l’Etat confiée à des organes supranationaux dans des domaines caractérisant aujourd’hui la souveraineté de l’Etat. Pour s’en apercevoir, il suffit juste d’énumérer les matières ouvertes par la délibération de la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement de la Communauté : la crise sanitaire, la performance économique et sociale, la paix sociale et la stabilité politique, la création de l’UEMOA, la libre circulation des personnes et des biens, l’énergie, l’environnement, l’industrie, l’éducation, la science, la coopération internationale. Ces compétences inhérentes au fonctionnement de l’Etat sont aujourd’hui transférées à la CEDEAO à des fins de réalisation des objectifs d’intégration.
L’intégration peut dès lors être entendue par le processus par lequel les Etats exercent en commun leur souveraineté, à travers la mise en place d’une politique commune, conduite par des organes dont les décisions sont directement applicables dans les Etats.
L’évolution de l’intégration en Afrique
Les décisions prises à Niamey sur le cas du Mali affectent à coup sûr, selon Dr Moustapha Fall, les domaines essentiels de la vie nationale, notamment le fonctionnement des institutions étatiques. La Conférence a ainsi affirmé sa détermination à assurer le retour rapide à l’ordre constitutionnel dans ce pays et une transition politique. Ces éléments remettent en cause les fonctions essentielles de l’Etat, le discours politique officiel, jadis souverainiste, étant aujourd’hui battu en brèche, même si le retour de l’Etat nation est fortement revendiqué.
Dans les opinions publiques nationales, la logique de l’intégration intrigue et divise de par sa singularité. Des critiques ont été formulées à l’endroit des élus et des élites. L’intégration aujourd’hui est ainsi considérée comme une affaire de technocratie, et non de démocratie. Les coulisses de l’intergouvernementalisme sont dénoncés, l’intervention des organes d’intégration n’est pas comprise, la méfiance du peuple à l’égard de l’intégration se manifeste, la montée du populisme domine le débat public à tel point de présenter le projet d’intégration comme du simulacre.
On assiste dès lors à un rejet du projet d’intégration par les peuples, à travers l’exacerbation et l’expression du nationalisme. Le déficit démocratique est reproché aux organisations d’intégration auxquelles l’on accuse de verser dans un intergouvernementalisme à outrance, une diplomatie de concert, voire de complaisance. Et, aujourd’hui, la question qui se pose est de savoir s’il faut renforcer les parlements communautaires, en élisant des députés au suffrage universel direct à l’européenne ou s’il faut simplement les doter de véritables pouvoirs législatifs. En réalité, les organes d’intégration font face à une crise de légitimité sans précédent.
Tout cela pour dire que l’intégration tant clamée par nos Etats et réaffirmée dans la Vison 2020 de la CEDEAO tarde encore à être effective. Pour mieux en saisir les causes réelles, Alpha invite à s’interroger, au-delà des textes, sur l’histoire de l’intégration qui date de la période d’avant les indépendances. En effet, les précurseurs avaient très tôt compris la nécessité pour les Etats de fédérer leurs forces. La volonté était affichée et le projet d’intégration a été mis en œuvre, malgré des manœuvres extérieures s’y opposant.
Toutefois, depuis l’accession à l’indépendance, nous avons assisté à la confrontation de diverses visions d’intégration traduisant une scission idéologique de nos dirigeants. Contrairement aux leaders anglophones, ceux de l’Afrique francophone ont relativement subi l’influence de l’ancienne puissance coloniale qui a même été à l’origine de la conception du projet de création de la CEDEAO, pour donner un coup de frein à l’ambition panafricaniste de Dr Nkrumah qui voulait justement éviter la balkanisation du continent.
C’est cette vision unificatrice que les forces vives de la région ont voulu s’approprier pour converger vers une CEDEAO des peuples. Aujourd’hui, force est de constater que les peuples sont très en avance sur le dispositif d’intégration qui se confronte aux tendances souverainistes des Etats membres. Dr Fall aborde dans le même sens en confirmant que l’affirmation de la souveraineté étatique s’avère être incompatible avec les objectifs d’intégration. Et de renchérir que l’échec du projet d’intégration traduit également, il faut le reconnaitre, l’échec de l’Etat providence, l’incapacité de nos Etats à assurer la mission régalienne et la distribution équitable des richesses. Menacés par des fléaux tels que la cybercriminalité, les flux financiers illicites, le blanchiment des capitaux, l’évasion fiscale, la corruption, la criminalité transfrontalière, le terrorisme, ils sont fortement concurrencés par d’autres sphères d’influence et de régulation
A la lumière des décisions de la CEDEAO, on se rend compte que les intérêts de cette classe politique dirigeante sont complètement déconnectés des aspirations profondes du bas, fait constater Alpha Waly. Et, les évènements récents survenus dans plusieurs pays, traduisant une montée exponentielle du populisme, témoignent de l’évolution de la conscience collective africaine assoiffée d’une intégration fondée sur nos réalités socio-culturelles et sur notre identité partagée. Alpha reste convaincu que notre continent doit se réconcilier avec lui-même, procéder à la réécriture de son histoire et redéfinir le concept même de souveraineté. Car, ce qu’il nous faut, c’est une souveraineté des peuples, à l’échelle panafricaine.
La souveraineté et l’interdépendance à l’épreuve de l’intégration
Les Etats membres de la CEDEAO font partie de ces Etats qui ont inscrit dans le texte constitutionnel des clauses d’intégration. La Côte d’Ivoire, par exemple, a l’une des constitutions les plus intégrationnistes. Les articles 123 et 124 prévoient, en effet, que la République de la Côte d’Ivoire peut conclure des accords d’association et d’intégration avec d’autres Etats africains comprenant un abandon partiel de souveraineté, en vue de réaliser l’intégration (harmonisation de la politique monétaire, économique et financière, l’établissement de l’union douanière, la création de fonds de solidarité, la politique étrangère, etc.). Le même principe consacré dans la constitution sénégalaise a été d’une certaine manière remis en cause par le Conseil constitutionnel, dans sa décision de 93.
La solidarité et l’interdépendance sont deux concepts clés que l’on retrouve dans le traité de la CEDEAO. L’article 3 dispose clairement que la Communauté se fonde sur la solidarité et l’interdépendance. Cette solidarité transparait dans sa vision 2020 et dans la plupart des actions communautaires. Toutefois, les problématiques récurrentes de la limitation des mandats et les révisions constitutionnelles qui se posent au sein des Etats membres incitent à se demander si le projet d’intégration en lien avec la solidarité et l’interdépendance serait adapté aux exigences démocratiques et à la revendication du retour à la souveraineté de l’Etat.
La solidarité s’entend par une dépendance mutuelle entre les Hommes. Elle a été le ciment de l’Union européenne, aujourd’hui considérée comme un des modèles d’intégration les plus aboutis. La CEDEAO postule la souveraineté avec un idéal commun, mais bannit tout individualisme et les égoïsmes d’Etat. Ce qui est paradoxal avec les valeurs néolibérales également promues par la Communauté. Cette solidarité peut se matérialiser sous plusieurs formes (la solidarité par la paix et la sécurité, l’assistance mutuelle des Etats membres, la justice distributive, l’exigence de la démocratie, la bonne gouvernance, la citoyenneté communautaire, la justice pénale, les finances publiques sont également des indicateurs de solidarité). Cette solidarité entre les Etats est une réalité et la solidarité entre les peuples en est une autre.
Néanmoins, si la solidarité est le fondement de l’intégration, l’interdépendance en est indubitablement le vecteur car la singularité de l’intégration, c’est l’unité dans la diversité. Cette interdépendance est traduite dans la coopération loyale entre Etats membres qui mettent en commun leurs souverainetés. Pour renforcer cette interdépendance, Dr Fall recommande aux Etats membres de mettre en place des politiques communes pour la gestion des ressources naturelles et le commerce intra-communautaire qui reste relativement faible (11%). Pour lui, les Etats gagneraient à sacrifier davantage de leur souveraineté pour raisonner en termes de souveraineté communautaire.
Conclusion
La souveraineté partagée et la solidarité réaffirmée sont le moteur du renouveau de l’intégration. En effet, les velléités fédératrices, l’exigence de démocratie et l’aspiration à une CEDEAO des peuples posent l’impératif d’une requalification du projet d’intégration, notamment en se dirigeant vers les chantiers du fédéralisme. Cette perspective seule permettra une meilleure considération des intérêts des peuples.
Les troubles politiques au Mali et les débats sur la limitation des mandats en Guinée Conakry, en Côte d’ivoire et au Sénégal, invitent la Communauté à se repositionner, sa nature juridique demeurant encore imprécise. Même si elle n’en a pas encore le statut légal, elle revêt les attributs d’un Etat fédéral (répartition des compétences entre les Etats, l’application du droit communautaire directement aux Etats, l’existence d’organes délibératifs au niveau supranational et de politiques étrangères communes). Tout ce qui lui manque, c’est la légitimité, la démocratie et le demos, les deux premiers éléments dépendant de la représentation du troisième (le peuple). En tout état de cause, il est primordial de préserver les acquis de l’intégration et de renforcer la démocratie et la solidarité. Il faudrait pour tout cela, doter la Communauté d’une véritable constitution et d’une juridiction communautaire.