Ousmane Sonko : «Macky Sall ne mérite pas d’être reconnu vainqueur»
Arrivé troisième à la Présidentielle du 24 février, il ne s’était pas exprimé depuis. Il a accepté, en exclusivité pour JA, de sortir de son silence pour livrer sa vision de l’avenir politique qui s’est soudain ouvert devant lui. Morceaux choisis.
Fraudes – «Personnellement, je ne me suis jamais prononcé sur les chiffres (de la Présidentielle 2019). Il n’était pas question de donner des résultats qui seraient démentis par des Pv signés par mes propres mandataires. Mes réserves portent sur l’appréciation du processus électoral dans sa globalité.
Je considère, en effet, que Macky Sall ne mérite pas d’être reconnu vainqueur, car il a fait cavalier seul, définissant les règles du jeu sans aucune concertation avec l’opposition, en violation du consensus qui prévalait au Sénégal depuis 1998. Cela concerne l’élaboration du fichier électoral, la distribution des cartes d’électeur, l’absence de neutralité du ministre de l’Intérieur… La position commune que nous avons adoptée tous les quatre, est donc de ne pas reconnaître la légitimité du Président Macky Sall, dont la victoire est purement technique.»
Les enseignements- «Globalement, les quatre candidats de l’opposition ont obtenu des scores honorables. Cela montre qu’il y a une véritable opposition au Sénégal, contrairement à ce que certains ont voulu faire croire. D’un côté, Macky Sall a vu son score baisser par rapport à celui de 2012, où il atteignait 65%. Inversement, les autres candidats ont progressé. Idrissa Seck est passé de 7,8% en 2012, à 20,5%. Quant à mon parti, le Pastef, il avait recueilli 1,1% aux Législatives de 2017, et nous avons aujourd’hui presque atteint 16%. Ce n’est donc pas une progression, mais un bond spectaculaire.»
Reports de voix – «Avec ce taux de participation massif, tous les candidats ont manifestement bénéficié de ces reports (des voix de Khalifa et Karim). Est-ce à dire que ces voix nous sont acquises définitivement ? Je ne saurais le dire. Il faut aussi constater que les ralliements des uns et des autres n’ont pas toujours été suivis d’effet. À Dakar, je n’avais reçu aucun soutien de la part des élus locaux, et pourtant, j’ai réuni 101 000 voix, alors que Idrissa Seck en a obtenu 115 000 avec le soutien de Khalifa Sall. Mais personne ne sait si cet électorat lui restera fidèle.»
Sa percée - «Je pense que nous sommes venus combler un vide sur un certain nombre de problématiques fondamentales liées au devenir des pays africains, les responsables politiques ne les ayant jamais abordées de front. C’est le cas de la protection de nos économies, du Franc Cfa, des accords de partenariat économique… Autant de «questions qui fâchent», comme on dit.
Il y a eu aussi notre combat pour la bonne gouvernance, qui nous a propulsés sur le devant de la scène : la gestion des ressources budgétaires et fiscales, celle du pétrole et du gaz… Depuis 2017, notre rôle à l’Assemblée a été déterminant. Nous y avons été très actifs, abordant nombre de sujets techniques. Les Sénégalais ont sans doute perçu une autre façon de faire de la politique, qui les a sortis d’une certaine torpeur.
Rencontre avec Abdoulaye Wade –«Il y a, dans notre culture, un profond respect envers les aînés. La base du Pastef est jeune, mais nous comptons aussi des doyens parmi nous et un comité des sages. Après les Législatives de 2017, j’ai eu à échanger, pour la première fois, avec Abdoulaye Wade. Ce n’était pas vraiment politique – nous n’avons pas évoqué de perspective de coalition entre nos deux partis –, mais c’est un monument de l’échiquier sénégalais. Je suis moi-même né en 1974, l’année où il a créé le Pds.
Depuis notre première rencontre, je sais qu’il suit notre travail, même de loin, et l’apprécie. De mon côté, je reçois ses conseils. Quoi qu’on ait pu lui reprocher, et bien que j’aie fait partie de ceux qui avaient manifesté, à l’époque, contre son troisième mandat, je crois que, sur la question de la souveraineté et du patriotisme, il est celui qui s’est le mieux illustré parmi les quatre Présidents du Sénégal.»
L’appel de Macky Sall – «Dans une démocratie, le dialogue national doit se tenir à l’Assemblée, là où les questions sont débattues entre la majorité et l’opposition. Pour ce qui est du processus électoral, le Sénégal a une expérience et une expertise avérées. Si Macky Sall veut parvenir à un consensus, il lui suffit de reproduire les schémas du passé –c’est un travail purement technique.
Chaque parti a déjà identifié les vrais problèmes et pourrait alors envoyer son responsable chargé des élections. Tant que nous n’avons pas été saisis officiellement d’un projet de dialogue et de son ordre du jour, mon parti ne peut pas donner de position officielle.
En mon nom personnel, je peux seulement dire qu’il n’y a ni pertinence ni urgence à dialoguer, d’autant que cela reviendrait à reconnaître la légitimité du Président Macky Sall.»
Jeune Afrique